Lorsqu’on demande à un enfant ou à un adolescent le métier qui l’intéresse et qu’il aimerait choisir plus tard, il répond généralement qu’il voudrait devenir homme d’affaires, banquier, administrateur (civil), journaliste, avocat, juge, médecin, footballeur…Il pense rarement à l’enseignant qui se charge pourtant de son éducation et de sa formation.
Ce manque d’intérêt généralisé pour le métier d’enseignant dans notre pays a des racines profondes. Il trouve son origine dans l’ignorance et la superficialité de nombreux observateurs malveillants ainsi que dans l’irresponsabilité même de quelques enseignants qui sous-estiment leur profession et la qualifient de « mère pauvre » de tous les métiers. Cette idée dégradante s’est répandue partout, renforcée par le développement abusif du matérialisme et la paupérisation de la majorité des enseignants.
Par ailleurs, l’enseignement est devenu un « fourre-tout », un « dépotoir » professionnel. De nombreux chercheurs d’emploi ayant échoué partout ou à l’attente d’un emploi plus lucratif viennent s’y essayer et parfois y font carrière contre leur gré comme des mercenaires ou des « chasseurs de primes ». Dépourvus de vocation et en panne de conviction, ils sont souvent responsables des actes les plus répréhensibles tels que les absences prolongées au poste, les manipulations des notes, les fraudes aux examens, le trafic d’influence, l’arnaque des parents et des élèves pendant les recrutements, les détournements des mineurs et les viols… Ce sont de véritables « prostitués » à col blanc qui salissent le corps enseignant et s’arrogent paradoxalement le droit de parler officiellement au nom des enseignants.
Voilà pourquoi à l’heure actuelle, il devient difficile d’accorder du crédit à l’enseignant dans certaines localités ou dans certains milieux. La place honorable jadis occupée par celui-ci, son sens du devoir et du patriotisme, sont de plus en plus hypothéqués par ce « gangstérisme professionnel ». Et pourtant, en y regardant de plus près, tout observateur sérieux peut distinguer les vrais enseignants de ces brebis galeuses qui gangrènent les milieux éducatifs et mettent en péril ce noble et beau métier. Après avoir défini les notions d’enseignement et d’éthique, nous allons identifier dans les lignes qui suivent les valeurs humaines indispensables que devraient incarner toute personne qui s’engage dans le métier d’enseignant.
DEFINITIONS DES NOTIONS D’ENSEIGNANT ET D’ETHIQUE
Qu’est-ce qu’un enseignant ?
Selon le dictionnaire Le Petit Robert 1(1991), un enseignant est un individu « qui enseigne, est chargé de l’enseignement » ; l’enseignement est un « précepte qui enseigne une manière d’agir, de penser… Une action, un art d’enseigner, de transmettre des connaissances à un élève ». Enseigner signifie faire acquérir des savoirs théoriques ou pratiques, littéraires ou artistiques, scientifiques ou techniques à une personne. L’enseignement se définit aussi comme la profession ou la carrière de celui qui enseigne. Il nécessite toujours la présence effective d’un enseignant et des apprenants.
Qu’est-ce que l’éthique ?
Le dictionnaire Encarta 2009 définit l’éthique (du grec éthos « coutume », « usage », « caractère »), comme un ensemble de « principes ou critères d’évaluation de la conduite humaine, parfois appelés mœurs (latin mores) et, par extension, étude de tels principes ». On peut la définir aussi comme un ensemble de règles de conduite à laquelle doit se soumettre un individu dans son milieu familial, professionnel ou social. Elle est la partie théorique de la morale. Voilà pourquoi Robert Misrahi écrit dans La Signification de l’éthique (1995) que l’éthique est « l’ensemble des principes purement humains qui devraient permettre au plus grand nombre d’accéder à une existence pleinement satisfaisante et pleinement significative, c’est-à-dire à une réalisation heureuse de la personnalité ».
Les êtres humains étant très différents du fait de la pluralité des « égos » et de la diversité des univers socioculturels, l’éthique sert de « creuset dans lequel les comportements, les attitudes des uns et des autres se fondent ».
Qu’est-ce que l’éthique professionnelle ?
Sur le plan professionnel, l’éthique se définit comme un ensemble de valeurs que les êtres humains pratiquant le même métier, ayant des intérêts communs, aspirant à un même idéal, se fixent et adoptent pour mieux promouvoir leurs activités, leur personnalité, leur image et pour atteindre des objectifs qu’ils se sont fixés.
QUELLE ETHIQUE POUR LE METIER D’ENSEIGNANT ?
Plus que tout autre métier et parce qu’il forme et moule l’enfance et la jeunesse, le métier d’enseignant doit incarner les valeurs qui fondent la société, garantissent sa stabilité et son rayonnement.
Qu’est-ce qui diffère l’être humain des autres êtres vivants ?
Le statut particulier des fonctionnaires des corps de l’Education Nationale publié le 05 décembre 2000 redéfinit les missions dévolues aux enseignants du Cameroun en son article 3 du Titre 1er. Ces missions sont :
- Assurer la formation intellectuelle et morale du futur citoyen ;
- Préparer son insertion dans la vie active ;
- L’imprégner des valeurs socioculturelles du Cameroun ;
- L’ouvrir au monde extérieur.
L’accomplissement des missions aussi importantes exige du postulant au métier d’enseignant une formation intellectuelle adéquate dans les universités et les institutions de formation spécialisées du Cameroun ou d’ailleurs (les écoles normales d’instituteurs, les ENS de Yaoundé, de Bambili et de Maroua, l’ENSET de Douala, l’INJS de Yaoundé,…) selon le cycle d’enseignement (maternel et primaire, secondaire ou supérieur) ou dans des centres de formation spécialisés agréés par l’ Etat (ex : les centres linguistiques, les écoles d’hôtellerie,…). Cette formation permet au futur enseignant de développer des aptitudes intellectuelles, d’acquérir des méthodes de communication publique, de s’imprégner des règles de l’art prévues dans les textes réglementaires, de s’initier et de s’habituer aux situations de classe souvent complexes, de prendre connaissance de la déontologie liée au métier d’enseignant, des objectifs et fonctionnement de son Ministère, de ses droits et devoirs envers l’Etat.
Le postulant doit au préalable aimer la profession et les enfants, avoir la vocation et de grandes qualités morales. Le développement de ces valeurs humaines le prédispose déjà à dispenser ses enseignements avec efficience. Mais que constatons-nous sur le terrain ? Beaucoup d’enseignants nantis pourtant de diplômes n’y parviennent que rarement, car ils ignorent tout simplement l’élément fondamental qui devrait faire d’eux des enseignants de qualité : l’éthique professionnelle.
Quelle éthique pour le métier d’enseignant ?
L’élaboration ou l’adoption d’une manière d’être et de vivre – d’un code de conduite – propre à l’enseignant n’a pas pour but d’uniformiser les comportements des uns et des autres, comme certains pourraient l’imaginer. Elle vise tout simplement à canaliser et à rentabiliser les énormes et différentes potentialités des milliers d’enseignants dont le zèle souvent déployé « à tort et à travers » discrédite le métier et entraine toutes sortes de dérives.
En effet, le métier d’enseignant devrait être fondé sur cette ressource naturelle et psychologique qu’est la vocation, car en plus des connaissances approfondies dans la filière choisie, il doit consentir au « don de soi » et se sacrifier sur tous les plans.
L’apparence physique
L’enseignant a la délicate mission d’instruire et d’éduquer à partir de ce qu’il dit, de ce qu’il fait, de ce qu’il est et de ce qu’il a. Pour ce faire, la déontologie de l’enseignement lui impose d’emblée une tenue et une présentation irréprochables. « L’habit ne fait pas le moine », dit un adage populaire ; mais un autre renchérit qu’on reconnaît le moine par son « habit ». En ce qui concerne l’enseignant, son habillement doit être digne, décent, simple et propre. La coupe de ses vêtements et le choix des couleurs (harmonie des couleurs) doivent refléter une personnalité humble, noble et accueillante. Les coiffures et les tenues extravagantes, vulgaires et impudiques doivent être proscrites.
Dans la rue, en classe, en réunion ou en famille, bref en société l’enseignant modèle exprime son dynamisme et sa mobilité par une démarche légère, des gestes souples, des mouvements harmonieux et un regard vif et franc. En public ou face aux élèves, il est chaleureux, poli, sévère et rigoureux quand il le faut, mais pas rigide.
A ces différentes règles de conduite, il faut joindre une faculté importante : la parole humaine. Celle-ci est l’outil permanent de l’enseignant. Il doit s’en servir comme d’une arme acérée contre tous les obstacles de la communication orale. A cet effet, sa voix doit être claire, suffisamment forte pour être entendue de tous les élèves. Le débit doit être régulier et pas très rapide, les intonations rythmées avec un accent particulier sur les notions nouvelles ou importantes devant retenir l’attention des élèves pour une meilleure compréhension du cours. L’intégration de ces principes lumineux dans sa vie quotidienne vaut à l’enseignant l’amour de ses élèves, la sympathie de ses pairs, l’estime de sa hiérarchie et le respect de son entourage.
Les qualités sur le plan intellectuel
L’enseignant est un intellectuel en perpétuelle activité. Son métier exige une excellente culture générale et une bonne capacité de mémorisation, de raisonnement, d’analyse et de synthèse. Il doit être appliqué et ordonné dans tout ce qu’il entreprend. Les séances de travail auxquelles il participe et les rencontres isolées avec ses collègues sont autant d’occasions d’échanges d’expériences, d’opinions et de mutualisation des ressources pédagogiques. Ceci nécessite une grande disponibilité, une grande capacité d’écoute, une bonne faculté d’adaptation, un sens poussé de collaboration et l’honnêteté intellectuelle.
Par ailleurs, l’enseignant doit avoir un esprit critique, une parfaite maîtrise de la discipline enseignée et de la langue de communication. Le langage utilisé doit être correct, fluide, explicite, accessible et adapté au niveau intellectuel des élèves ; les mots et les phrases lus distinctement, les paroles prononcées clairement en évitant autant que possible les lapsus, les fautes de syntaxe, les contre-sens et les malentendus.
En effet, l’enseignant doit être conscient que les élèves l’observent attentivement, qu’ils jugent jusqu’au moindre détail sa façon d’être (sa manière de parler, son éloquence, son tempérament, son attitude, son regard, l’expression de son visage, le moindre mouvement du corps…). Pour cette raison, il doit être vigilant et développer la conviction dans tout ce qu’il enseigne, faire de la recherche en permanence, jouir d’une grande mobilité intérieure, contrôler ses émotions, maintenir un climat chaleureux et un contact visuel avec les apprenants pendant toute la durée du cours, susciter leurs réactions à l’aide du questionnement et de l’exploitation méthodique des documents. En général, ces réactions indiquent l’intérêt ou la désapprobation et donnent l’occasion de bien repréciser les notions utilisées, de rendre plus concrète son expression, de ralentir ou d’accélérer son débit suivant les contextes.
Les qualités sur les plan moral et spirituel
L’enseignant qualifié et épanoui doit faire valoir sa capacité à gérer objectivement les problèmes de la classe, à comprendre et à tolérer les faiblesses des élèves. Par cette attitude digne et noble, il suscite chez les apprenants la naissance et l’épanouissement d’un comportement similaire et un intérêt particulier pour sa discipline.
Chacun de nous porte au fond de son être le souvenir bon ou mauvais d’au moins un enseignant. Ce souvenir est indélébile du fait de l’influence que l’enseignant exerce sur l’apprenant et sur son entourage. A cet effet, la probité morale, l’assiduité et la ponctualité aux cours et aux rencontres pédagogiques sont les règles d’or dans le métier.
A l’égard des élèves, l’enseignant doit être accueillant, attentif, patient, compréhensif, aimable et tolérant. Il doit être à l’écoute de ses élèves. Ses conseils avisés et son sens d’équité suscitent généralement chez ceux-ci le respect, l’amour du travail, la nostalgie de la bonté ainsi que l’aspiration à devenir meilleur.
L’action de l’enseignant ne doit cependant pas s’arrêter dans la salle de classe. Pour une pédagogie toujours plus efficace, l’enseignant doit veiller aussi au respect des règles de morale et aux valeurs citoyennes au sein de l’établissement, sanctionner les bonnes et les mauvaises actions, apporter son soutien aux élèves en difficultés.
A l’égard de ses collègues, l’enseignant doit se montrer réceptif, digne, ouvert, chaleureux, simple, humble et courtois. Il doit créer par sa noblesse d’âme un climat de travail convivial et paisible, même avec les personnes au tempérament belliqueux. Quelles que soient les difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa mission, il doit avoir la maîtrise de soi, être objectif, cohérent et réfléchi dans toutes ses initiatives.
Les plaisanteries de mauvais goût et les propos offensants sont à proscrire ainsi que la délation, la calomnie, la médisance, la provocation, la présomption, la vulgarité et l’intolérance qui empoisonnent les milieux professionnels. Dans ses rapports avec la hiérarchie, il doit faire preuve de disponibilité, de respect, d’honnêteté, de fidélité, de réserve, de pondération et surtout de loyauté.
Son sens de l’équité, son dévouement et son aspiration à mieux servir, associés à la droiture, à l’amour du prochain et à la pudeur, doivent faire de lui un partenaire sérieux pour l’éducation des enfants et pour l’édification de la société.
CONCLUSION
L’être humain vit et évolue dans un milieu précis. Il accomplit des œuvres bonnes ou mauvaises qui suscitent soit le mépris, la rancœur et le rejet, soit l’envie ou l’admiration. Sa manière de servir, son sens d’humanisme et son rayonnement laissent une certaine impression sur son entourage, une image spécifique de lui. C’est ainsi qu’il peut devenir une référence, un exemple dans la société. Mais, il peut tout aussi devenir un marginal, voire un paria à cause de ses frasques.
Au moment où notre société est confrontée aux effets néfastes de la mondialisation à travers l’invasion des images audio-visuelles qui présentent une vision décadente de l’humanité, le corps enseignant devrait rester l’un des gardiens des hautes valeurs humaines. En dépit de tous les actes répréhensibles qui lui sont imputés, l’enseignant porte encore d’énormes ressources capables de transformer positivement la société camerounaise.
Susciter la réflexion sur l’éthique professionnelle devient à cet effet une nécessité vitale en cette époque où le métier, gangrené par de nombreux aventuriers, attire de moins en moins de jeunes aux aspirations nobles. Sans avoir la prétention de donner ici des leçons, le présent exposé a proposé quelques pistes à creuser pour redonner à notre profession ses lettres de noblesse. Il invite à l’assainissement profond du métier.
A l’image de ses illustres prédécesseurs, sans trompettes ni tambours, et bravant les innombrables difficultés du monde matérialiste, l’enseignant actuel doit redevenir un modèle pour ses élèves, un collaborateur loyal pour la hiérarchie, un bon citoyen pour l’Etat qui l’emploie, bref une icône pour la société tout entière.